Newsletter n° 2 – 10 septembre 2022

Negar, soutien aux femmes d’Afghanistan a le plaisir de vous présenter sa newsletter n° 2

Vous pouvez la lire ci-dessous ou la télécharger en cliquant ici

A peine une année s’est-elle écoulée depuis la mainmise des milices talibanes sur l’Afghanistan qu’une petite musique insistante repart, concernant le devenir de l’Afghanistan et la reconnaissance du pouvoir taliban. 

Cela nous inquiète beaucoup, d’autant plus qu’elle émane d’ONG qui savent qui sont les taliban et ce que l’on peut attendre d’eux. 

Elles proposent cependant de donner aux taliban les fonds destinés à l’Etat afghan gelés aux Etats-Unis, les reconnaissant de ce fait comme État afghan légitime.

Dernière variation de cette petite musique, une tribune publiée par le GISTI dont vous trouverez le lien ci-dessous :

https://www.gisti.org/spip.php?article6852

Nous pensions ces tentatives définitivement écartées.

Après réflexion, notre présidente, Shoukria Haidar, a décidé d’y répondre.

Voici le texte de sa réponse. Vous pouvez le faire circuler.

Par ailleurs, après une année très chargée en déplacements, interventions et conférences (pas moins de 52 interventions en France et en Europe depuis le 15 août 2021), nous participerons à deux événements en septembre :

  • Le dimanche 18 septembre au 3è festival d’Empower’HER à la Cité Fertile à Pantin,
  • Le jeudi 29 septembre à l’invitation du club Femmes Ici et Ailleurs de Cherbourg.

Bien amicalement à vous et merci de votre soutien.

Geneviève COURAUD – HUON

06 61 34 75 73

Genevieve.couraud@wanadoo.fr


 

 

 


Shoukria HAIDAR,
Présidente de NEGAR-Soutien aux femmes d’Afghanistan,

A Vanina ROCHICCIOLI, présidente du GISTI, Et aux membres de la liste de diffusion initiée par le Conseil National des barreaux

Objet : Réponse à votre tribune du 23.08.22

Paris le 6 septembre 2022

Madame la présidente,
Mesdames et messieurs représentant les associations et syndicats membres de cette liste,

Nous avons pris connaissance de la tribune « Il y a un an les taliban s’emparaient de Kaboul. La communauté internationale peut-elle à la fois fermer les yeux sur le sort du peuple afghan et fermer les frontières aux exilés ? » que le GISTI propose le 23 août 2022 à la signature des associations et syndicats présents sur cette boucle.

NEGAR-Soutien aux femmes d’Afghanistan, est une association féministe que j’ai créée dans l’urgence de la première prise de pouvoir des taliban en 1996, avec des militantes féministes amies de l’Afghanistan, pour lutter dans cette période contre toute reconnaissance du régime taliban par la France, l’Europe et les pays occidentaux, et pour venir en aide aux femmes et aux petites filles afghanes, en particulier par la mise en place d’écoles clandestines.

Avec le soutien des associations féministes, des syndicats, et de militant·es politiques, NEGAR s’est impliquée en France, en Afghanistan, en Europe et aux États-Unis dans la lutte contre le régime taliban dès 96, et jusqu’en 2001, puis dans la reconstruction de l’Afghanistan de 2002 à 2021, puis à nouveau dans le soutien au peuple afghan et à la résistance depuis le 15 août 2021.

Madame la présidente du GISTI, nous sommes sensibles à votre intérêt pour le peuple d’Afghanistan, nous savons le travail et les actions conduites par le GISTI – Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés – et nous saluons votre engagement si utile, mais nous avons été choqué·es et blessé·es par le texte que vous proposez.

Si la question que pose le titre de votre tribune est une bonne question, le contenu, en revanche, nous interdit de la signer pour plusieurs raisons que je vais essayer de vous expliquer, de mon point de vue de militante afghane.

Il comporte tout d’abord dans son 1er paragraphe une analyse des événements de 2021 qui contient des contre-vérités historiques, très choquantes pour nous.
Contrairement à ce que vous dites dans un parallèle faussé entre l’Union soviétique et les États- Unis, la période de 2002 à 2021 n’est pas une période de guerre, et n’a rien à voir avec l’occupation de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, dite, à juste titre, « la guerre d’Afghanistan » (1979- 1989).

2002-2021 est une période de paix. Cette paix était certes traversée d’épisodes sanglants, surtout après 2005, la population était sans cesse menacée par les attentats des taliban, mais cela a été une période favorable pour la population, comme en témoignent les milliers de jeunes, filles et garçons, dans tous les départements, qui ont pu aller à l’école et à l’université, apprendre un métier – et pas qu’à Kaboul -. Des élections démocratiques ont alors mis en place un parlement, une Constitution a été votée en 2004, comportant, par ex., un article qui consacre « l’égalité des afghans et des afghanes en droits et en devoirs ».

Voyez l’augmentation massive de la démographie, le retour dans leur pays des afghan·es qui avaient choisi l’exil, la place prépondérante des femmes aux postes de responsabilité et dans les métiers dits masculins, y compris ceux de la police et de l’armée, etc..
Notre association, nos bénévoles, nos salarié·es ont sans relâche durant ces années (2002-2021) librement travaillé sur place et dans tout le pays, pas seulement dans les villes. Je suis moi-même revenue vivre et travailler dans mon pays, à Kaboul, comme dans toutes les provinces, restant parfois près de trois ans sans revenir en France, le pays qui m’avait accueillie.

S’il est vrai que la corruption s’est emparée de ce pays, et que les responsables élu·es de l’état afghan ont été incapables de faire face, que le dernier président a préparé la venue des taliban, vous avez raison de le dire, s’il est vrai que les États-Unis, avec un cynisme politique dont ils porteront longtemps le stigmate, ont abandonné l’Afghanistan de manière lamentable en août 2021, après les scandaleux accords de Doha, on ne peut tordre la réalité historique.

De même ce que vous avancez (§ 6) sur la situation des provinces, qui obéiraient depuis toujours à la dictature religieuse:

« Dans les provinces délaissées par le régime corrompu précédent, leurs règles s’appliquent depuis toujours. Dans ces régions, territorialement majoritaires, la mainmise des taliban sur le pouvoir central ne change pas grand-chose à la vie des gens. L’oppression des femmes y est, par exemple, comprise, sauf en ville, comme une évidence légitimée par la tradition. »

est un stéréotype qui ne reflète pas la réalité, mais une vision rétrograde et, excusez-moi, colonialiste de l’Afghanistan.
Certes, il y a des zones éloignées des grandes villes, mais la plupart ont pourtant beaucoup bénéficié des progrès entre 2002 et 2021, vous le reconnaissez au travers des chiffres de la scolarisation, et d’ailleurs parmi les 34 provinces de l’Afghanistan, desquelles parlez-vous précisément?

Nous avons, pour notre part, travaillé dans de nombreux départements, nous y avons scolarisé des petites filles, accompagné des jeunes filles au lycée, puis vers un métier, formé des professeures… Nous avons mis en place un programme de formation des femmes vers l’égalité, un accompagnement vers la parité politique, grâce au soutien international dont nous avons bénéficié. Nous ne reconnaissons pas notre pays dans ce miroir que vous nous tendez.

Nous regrettons comme vous que l’on oublie le drame afghan au profit des victimes d’autres conflits, que l’accueil des afghan·es en France soit très insuffisant (c’est pourquoi nous sommes membres de cette liste), que la Turquie et l’Iran renvoient en Afghanistan un nombre considérable des personnes qui ont réussi à quitter le sol afghan, que l’accès aux consulats français à Téhéran, Islamabad et Istambul soit imposible.

Il n’est pas de jour où nous ne recevions d’appel à l’aide. Et notre impuissance est terrible.

Cependant, la suggestion que vous avancez (§ 4 et 5) de donner aux taliban l’argent qui revenait à l’état afghan, gelé dans les banques étatsuniennes, c’est à dire les reconnaître ipso facto comme État afghan est révoltante pour les afghans et les afghanes, et pour tout dire extrêmement dangereuse pour les militant·es activistes sur le terrain avec lesquelles nous sommes en lien et que nous soutenons de toutes nos forces. Je cite :

« Si ces ressources leur (les taliban) étaient restituées, il y aurait une chance qu’ils les utilisent pour combattre la famine, permettre aux paysans d’acheter semences et engrais pour la récolte de 2023 faute de laquelle le pire est inévitable, payer les fonctionnaires, importer des médicaments, etc. »

D’une part, les taliban ne sont pas l’État afghan, ce sont des milices islamistes fondamentalistes terroristes qui se sont emparées du pouvoir par la force et la barbarie, et grâce à des complicités, ainsi que vous le dites, dont celle du dernier président de la République d’Afghanistan. Ils n’ont jamais été désignés par un scrutin démocratique quel qu’il soit.

Ensuite, qui peut croire que les taliban redistribueront cet argent à la population ? Qu’ils paieront les fonctionnaires (les femmes doivent déjà rester chez elles, même les mendiantes sont aujourd’hui chassées des rues), alors que ce qui crée leurs ressources aujourd’hui comme hier, c’est la culture du pavot dont la production n’a jamais été aussi importante que cette année, et les mines de charbon dans lesquelles des ouvriers, parfois de très jeunes enfants travaillent dans des conditions misérables, et ce au profit du Pakistan.

A l’heure actuelle, les taliban détournent toute l’aide qu’ils peuvent pour leurs combattants.

Non, les taliban n’ont pas changé. Ne cédons pas au chantage qu’ils tentent d’exercer sur les pays occidentaux: scolarité des filles, et distribution de pain contre dégel des avoirs de l’Afghanistan.

Que dirons-nous aux femmes qui bravent les taliban dans les rues pour demander justement la non-reconnaissance du régime, parce que cette revendication est le seul espoir qui leur reste? Qui ont été enlevées, enfermées, victimes de viols et de violences, tuées ? Qui disparaissent ? Dont on retrouve le corps dans les rivières ? Qui doivent fuir leur propre famille qu’elles mettent en danger par leurs actes de résistance? Que dirons-nous aux adolescentes que leurs familles cachent de peur qu’elles soient enlevées ? Aux jeunes filles mariées de force à des miliciens taliban qui contractent 4 mariages en même temps ? Et que dire des petits garçons enfermés dans les madrasas, dans tous les départements, enrôlés de force, et façonnés pour être des « suicideurs » afin de gagner leur paradis sur terre ?

Depuis plusieurs mois, les taliban délogent les populations hazara, tadjik, ouzbek de leurs villages, de leurs demeures et les contraignent par la menace et les coups à fuir sur les routes, en laissant leurs bêtes et tous leurs biens, pour installer à leur place, avec des armes et de l’argent des populations nomades extérieures à l’Afghanistan, afin de réaliser leur projet de « changer par la force le visage de l’Afghanistan ».
Nous avons aujourd’hui assez de témoignages sur place pour savoir ce qui se passe, ainsi les vagues de suicide des toutes jeunes filles, expression du désespoir d’un peuple qui n’a plus d’avenir.

Nous pensons qu’il ne faut en aucun cas reconnaître les taliban,

Qu’il faut aider les afghans et les afghanes, et que les aides doivent être distribuées sous l’égide de l’ONU par les ONG qui travaillent au plus près de la population sur le terrain, plutôt que de perdre tant d’argent avec des filières détournées,

Que les pays concernés doivent soutenir la résistance qui s’organise et dont nous recevons des nouvelles grâce aux journalistes et via les réseaux,
Enfin, et c’est ce qui nous tient le plus à cœur, nous demandons avec instance que l’on prenne en compte, avant toute chose, ce que les afghans et les afghanes eux-mêmes souhaitent pour leur pays, et qu’ils soient reconnu·es comme des interlocuteurs et interlocutrices légitimes, expert·es de leur pays et de sa destinée.

Madame la présidente, nous connaissons et respectons l’engagement du GISTI, et sommes prêt·es à une rencontre qui permettra de mieux comprendre et connaître nos convictions et notre position .

Recevez mes salutations les meilleures.

Shoukria HAIDAR

Présidente de NEGAR-Soutien aux femmes d’Afghanistan

Inscription à la conférence

https://empow-her.com/festival-france2022/billetterie/